Elle a avec elle son appareil photo, un Nikon, et, souvent, des acces- soires – une lampe de bureau, un seau en plastique, un ventilateur, des journaux, des oeufs. Elle monte jusqu’au dernier étage, par précaution, afin de se prémunir contre une irruption. Elle choisit une pièce, vide puisque l’immeuble est encore en travaux. Elle se met nue. Elle place son appareil sur un pied. Il arrive que l’un des accessoires soit dans le champ. Quand elle a réglé la distance et la vitesse de l’appareil, elle enclenche le retardateur et court prendre, à l’endroit qu’elle veut, la posture qu’elle veut. Etrange exercice. [...]

Les photographies que prend d’elle Gloria Friedmann peuvent d’autant plus été considérées comme des contre-images qu’elle fait évoluer son modèle dans des lieux aux murs nus, au sol de ciment, sans rien pour les rehausser : des lieux sans qualité. Ce ne sont pas ceux que préfèrent les photographes de mode. Les objets ne sont pas plus luxueux et, pour certains, sont même triviaux – une cuvette de WC, une chaise de bu- reau. Même pas de papier peint sur les murs, ni de plancher sur le sol : du plâtre, du béton, de la poussière sans doute. Il y a là un parti-pris de pauvreté explicite. Gloria Friedmann travaille sans budgets, ni assistants, à rebours de l’époque et des exigences de la publicité – qui est alors en train de devenir l’une des principales pourvoyeuses d’images de la socié- té contemporaine, en compagnie du cinéma et de son succédané de petit format, la télévision.

Extraits de Métamorphoses de Gloria F.de Philipe Dagen
Éditions MARVAL - RUEVISCONTI, 2014

Née en 1950 à Kronach en Allemagne. Vit et travaille à Paris et à Aignay-le-duc, (Côte-d’Or).

Née en Allemagne en 1950, et depuis 1980, installée en France, Gloria Friedmann, artiste engagée, humaniste et autodidacte débute sa carrière artistique dans les années 1970, par la photographie où elle se met en scène. Le cinéma de la fin des années 1970, l’établissement de l’esthétique minimale, la domination advenue de l’art américain, la succession des mouvements picturaux (figuration libre, Neo- expressionisme...), le développement de l’in-situ forment le contexte dans lequel la pratique marginale de Gloria Friedmann prend forme.

L’artiste questionne le monde et la vie en évoquant des réalités existentielles, en mettant en évidence la précarité d’une vie sur terre, en pointant la vulnérabilité des corps et des esprits. En combinant l’utilisation de matériaux naturels et l’emprunt d’un langage minimal, l’artiste pointe les relations Nature / Culture dont elle tire les principales problématiques de son œuvre protéiforme où s’entremêlent sculptures, photographies, dessins, peintures, installations et vidéos.

Reconnue internationalement, Gloria Friedmann s’est imposée en tant que critique de notre société, une critique qui vacille entre humour décalé et prise de conscience pour peut-être susciter dans l’œil du spectateur une lutte universelle.